mardi 12 avril 2011

Les coeurs fêlés - Gayle Forman

(Oh ! Éditions, 2010, 261 p. et Pocket, 2011, 222 p.)

Chers lecteurs,

Je ne me suis pas manifestée depuis un certain temps sur le blog, et je vous prie de m'en excuser. J'aurai pu passer en vitesse, rédiger un article sans saveur parce que je n'y aurai pas vraiment mis toutes mes émotions, mais ce n'est pas là la voie que je me suis proposé de suivre avec vous. J'ai donc attendu d'avoir du temps, et c'est avec un immense coup de cœur littéraire que je reprends aujourd'hui l'écriture de ces pages.

Envie de ... résumer :

(Titre original : Sisters in sanity)

N'avez-vous jamais fait ce rêve étrange et glaçant : celui où vous savez pertinemment que vous n'êtes pas folle mais où personne autour de vous ne semble du même avis ?
Pour Brit Hemphill, seize ans, ce cauchemar devient réalité le jour où son père la conduit de force à la Red Rock Academy, un centre perdu dans l'Utah qui prétend "mater" les enfants rebelles. Brit doit y suivre une thérapie pour guérir des maux qui n'existent que dans la tête de son père.
Aidée de ses amies, qui partagent le même sort qu'elle, Brit va se battre pour exister, rester libre et garder espoir dans ce centre où droits civiques et dignité semblent avoir été laissés de côté.

Envie de ... donner mon avis :

Ce roman est pour moi une réelle bonne surprise. Réelle surprise parce que je me le suis procuré par hasard, sans en avoir entendu parler auparavant, sans qu'on me l'ait recommandé, et sans qu'il figure dans ma liste à lire (liste dont je ne connais pas moi-même le contenu exact, je préfère lire au gré de mes envies) ; et bonne surprise parce que j'ai tout simplement a-do-ré !

En toile de fond, l'histoire d'une tragédie familiale : pour Brit, la vie n'est plus la même depuis que sa mère est partie après avoir sombré dans la folie. La jeune fille vit désormais avec son père, qu'elle ne reconnaît plus, sa belle-mère, qu'elle surnomme "le Monstre", et son demi-frère, Billy. Seule le groupe de musique dont elle fait partie, et le beau Jed qu'elle aime en secret, l'aident à s'évader de ce quotidien pesant et de cette vie qui lui échappe.
Désormais enfermée à Red Rock, Brit s'interroge sur les raisons de sa présence dans ce camp de redressement : la décision est-elle seulement le fait de sa belle-mère qu'elle soupçonne de vouloir la tenir à l'écart ? Y aurait-il un lien entre l'histoire de sa mère et sa présence à Red Rock ?

Commence alors pour Brit une profonde réflexion sur le destin et la fatalité : torturée par la peur de "finir" comme sa mère et révoltée à l'idée que l'on puisse arguer de la folie de sa mère pour justifier son placement dans un centre pour adolescentes déviantes, Brit va se battre pour rester elle-même, tout en s'adaptant et en se familiarisant avec les "codes" de l'institution pour s'y faire une place. Car Red Rock, "centre thérapeutique résidentiel" (!), c'est tout un programme : un fonctionnement basé sur un système de niveaux, des rétrogradations intempestives, des pseudo-catégories (les droguées, les déviantes sexuelles, les "automutilatrices", les fugueuses, etc.), une surveillance rapprochée, des correspondances contrôlées, des méthodes pseudo-thérapeutiques qui laissent à désirer (notamment la fameuse "thérapie confrontationnelle" ...), une équipe "éducative" aux qualifications douteuses, et j'en passe ...

Mais ce combat pour continuer d'exister, elle ne va pas le mener seule. Car ce roman est aussi celui d'une extraordinaire et profonde histoire d'amitié. Je parlerais même d'un hymne à l'amitié.
Entre Virginia, alias "V", qui connaît toutes les astuces pour contourner le règlement de Red Rock, Martha, "l'ex-mince qui a eu le culot de grossir", Cassie, qui aime un peu trop les filles, Babe, qui aime un peu trop les garçons, et Brit, un lien extrêmement fort va se nouer : incomprises et embarquées dans la même galère, elles vont créer " l'Ultra-sélect, l'Ultra-branché Club Fermé des Fêlées ". De réunions nocturnes secrètes en petits mots subtilement échangés, elles vont tout partager : leurs interrogations sur les raisons de leur présence à Red Rock, leur révolte et leur dégoût face aux méthodes utilisées, leur histoire, leurs joies, leurs peines ... Ensemble, les "Sœurs contre tous" vont affronter les déceptions, les humiliations, la souffrance physique et morale, les rétrogradations, etc.
Au cœur de cet enfer qu'elles ne comprennent pas et qu'elles aimeraient pouvoir dénoncer, ces amies se raccrochent les unes aux autres pour ne pas oublier qui elles sont vraiment. C'est là ce qui m'a énormément touché dans ce roman : au-delà de leurs différences, ces jeunes filles vont se serrer les coudes et faire preuve d'une incroyable solidarité à toute épreuve. C'est une magnifique leçon de vie, la théorie des dominos à l'envers : au lieu de se faire tomber les unes les autres, ces sœurs de cœur vont se redresser, s'aider à se relever et lutter pour exister ... encore. Malgré tout.

Bien que l'auteur précise, dans une note en fin de livre, que des camps de redressement semblables à la Red Rock Academy existent, "sans être toutefois aussi durs", il est impossible de ne pas être un minimum sensible au calvaire que vivent ces jeunes filles. Même si certaines caractéristiques de ces institutions où l'on traite les jeunes "à la dure" ont pu être grossies (je l'espère sincèrement et c'est ce que semble nous dire l'auteur à la fin), ce roman n'en reste pas moins brillamment écrit. Brillamment, mais aussi simplement.
Ce groupe d'amies est tout aussi émouvant, vrai et attachant que l'équipe éducative est écœurante et déplaisante (des personnages sadiques, des "monstres déguisés en gens ordinaires").
Deux valeurs fortes, l'Amitié et l'Injustice, pour un roman qui ne peut laisser indifférent. On le referme physiquement, mais il reste ouvert, au moins pour quelque temps.

Bref, n'attendez-plus, procurez vous "Les cœurs fêlés" et venez m'en parler !

Envie ... d'un extrait :

" C'en était donc fini des Sœurs contre Tous, du moins vis-à-vis de l'extérieur. Nous allions devoir faire profil bas et garder notre amitié plus secrète que jamais. C'était lamentable. Quel était cet endroit où, au nom de la thérapie, on décidait de vous priver d'amitié et du moindre moment agréable, et où l'on préférait vous voir solitaire, triste et misérable ? "

" Qu'avions-nous donc fait, les unes et les autres, pour mériter d'être ici ? Cassie aimait trop les filles. Babe aimait trop les garçons. Et moi ? Était-ce parce que je ressemblais trop à ma mère ? Parce que je faisais peur à mon père ? "

" C'est la seule solution, Brit, avancer pas à pas. Et quand on s'obstine à mettre un pied devant l'autre, on finit toujours par arriver quelque part."

 

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